© Justin Piveteau

Un été dans l’intimité d’un rapace méconnu : la bondrée apivore

Immersion dans l’intimité d’un rapace des plus envoûtants, la bondrée apivore. Carnet de terrain cévenol.

Immersion dans l’intimité d’un rapace des plus envoûtants, la bondrée apivore. Carnet de terrain cévenol.

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10 mai

À l’aube, je laisse le vélo contre un jeune frêne et me munis de la longue-vue et de la musette de dessin. Chaque année, je cherche avec un ami les couples de faucons hobereaux qui habitent les rives boisées de ce petit coin des Cévennes. Aujourd’hui, je suis plutôt sur la piste d’un oiseau que je connais peu et qui passe discrètement la belle saison chez nous : la bondrée apivore se montrera-t-elle ? Les prairies fleuries et calmes qui bordent le Gardon m’inspirent. Des dizaines de poutres de chemins de fer érigées sont autant de perchoirs propices pour que le rapace guette les mouvements des insectes qu’il convoite.

Sur le sentier, je reste cinq minutes à écouter le chant grinçant d’une hypolaïs polyglotte au sommet d’une aubépine. J’hésite à la dessiner. Finalement, j’avance. En rejoignant le surplomb de la rivière, le soleil rasant de l’aurore révèle tout ce qui vit. Je repère immédiatement un oiseau de belle taille sur un arbre sec à environ 1 km.

Je déplie la longue-vue et colle avec entrain mon œil contre l’oculaire. Une bondrée ! Cette première rencontre me prend de court. Malgré la distance, je décide de dessiner d’ici pour ne pas perdre une miette de ses projets. Le fin rapace se toilette et chauffe son plumage au soleil. De ses motifs bariolés de taches brunes, je déduis qu’il s’agit d’une femelle. Après vingt minutes, elle disparaît soudainement. Le dessin implique une attention très pointue, mais oblige aussi à dévier régulièrement le regard vers le papier… au risque que le sujet s’éclipse. Espoir à nouveau : à 9 h 30, un mâle à la tête bien grise survole lentement le secteur et s’efface dans la végétation.

11 mai

Je viens encore plus tôt ce matin. L’expérience d’autres espèces me fait penser que les rapaces sont routiniers. Je m’assois sur les gros galets de la rivière, dissimulé par les jeunes pousses de peupliers. Un loriot collecte des matériaux pour le tissage de son nid. À 8 h, le coucou donne de la voix. Bon présage, car chaque fois que je me suis mis en quête du rapace à tête de coucou, le véritable coucou gris était dans les parages. Dix minutes plus tard, la bondrée femelle apparaît sur le même perchoir qu’hier, un frêne au houppier sec. Mais je suis beaucoup plus proche, seuls la rivière et quelques bosquets nous séparent. Subjugué par sa beauté, j’ai de la peine à guider mon crayon. Elle s’envole droit vers moi, mais je la perds de vue derrière le voile de branchages. Je finis par l’apercevoir, rejointe dans le ciel par un mâle et un goéland leucophée. Cris et voltiges font rapidement place au calme. Tout le monde s’éclipse.

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15 mai

Le coucou chante encore. Une bondrée mâle de forme claire se perche face à moi. Je l’observe et le découvre sous la lumière avec la même émotion que la femelle quatre jours plus tôt. Son œil jaune est absolument fascinant. Malheureusement, il ne restera pas longtemps, dérangé par deux promeneurs et leurs chiens. J’en garde une impression intense et je suis content de mon dessin.

Fausse buse

Aigle, faucon, buse, vautour…
la plupart des rapaces sont identifiés par ces noms bien connus. Mais la bondrée n’a pas ce privilège. Souvent confondue avec la buse variable dont elle partage l’envergure et la variabilité du plumage, elle s’en distingue par une silhouette bien plus fine. Dans nos régions, Pernis apivorus est la seule représentante d’un genre qui compte quatre espèces en Eurasie et en Afrique. Alors qu’elle est répandue dans les forêts de plaine, elle reste très méconnue du grand public et peu étudiée par les ornithologues.

17 mai

Quatre bondrées tournoient ensemble au-dessus du Gardon, quand l’un des mâles se lance soudain dans des vols en festons caractéristiques. Il applaudit frénétiquement à trois reprises avec le dos de ses ailes, faisant scintiller sa silhouette.

Vers 9 h, un peu plus loin, j’identifie un autre couple. La femelle se perche bien à l’horizontale sur un gros pin. Je devine que cette posture invite le mâle. Celui-ci arrive peu après avec de la nourriture qui passe d’un bec à l’autre. Impossible d’en déterminer la nature, car elle est avalée d’un coup. Juste après cette offrande, l’accouplement a lieu pendant cinq à dix secondes. Les oiseaux plongeront bientôt dans la forêt, peut-être vers leur nid. Un circaète habitué des lieux passe…

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L’Africaine

La bondrée apivore arrive dans nos régions principalement en mai et repart fin août. En d’autres termes, ce rapace insectivore ne passe que quatre mois en Europe pour se reproduire. Les huit autres mois de l’année sont consacrés à une longue migration et à un hivernage en Afrique tropicale. Oiseau d’Europe, vraiment ?

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26 mai

Je profite du calme pour croquer un crabier chevelu perché dans un aulne. Durant la matinée, je note au moins six bondrées apivores sur seulement 1 km de vallée. Un des mâles est très reconnaissable, car sa silhouette est découpée par la mue de nombreuses plumes.

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Rive gauche, je réussis à faire des croquis rapides d’un coucou chanteur. Je m’égare dans un labyrinthe de sentiers ouverts à coups de bulldozer, puis me fais raccompagner par un patou protégeant son troupeau. De retour, je sors du chemin pour me mettre à l’ombre de la ripisylve et repère un vieux nid qui a pu appartenir à des bondrées. Enfin, quelques pas plus loin, une grosse aire construite sur un imposant saule se dévoile.
Surpris par cette apparition, j’ose déplier la longue-vue. À travers les branchages de peupliers et de frênes, je distingue nettement un iris jaune.
En voulant sortir du boisement sans déranger, je découvre un nouveau point de vue sous un alisier voûté qui me dissimule à merveille. Malgré les moustiques, je dessine. La femelle se dresse et se dévoile. Sa beauté tient aussi dans sa discrétion. Quel site magique !

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14 juin

Je salue le couple de chercheurs d’or que je croise régulièrement. Eux remuent le fond de l’eau, moi je guette le ciel. Chacun son trésor. Je passe la rivière pieds nus, l’eau soulage mes éraflures causées par les virées dans les buissons. Je trouve une aire inoccupée et bien planquée, je suis sûr que c’est un ancien ouvrage de bondrée. L’arbre porteur est un frêne de tout juste 12 cm de diamètre et le nid est à peine à 6 m de haut. Plus bas que ce que les livres mentionnent. Au-dessus du pont de Lézan, j’admire un mâle en vol pendant plus d’une heure, à faible hauteur, ses pattes pendantes en signe d’intimidation.

15 juin

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Sur les parcelles de blé de la petite plaine, j’observe avec amusement une demi-douzaine de sternes hansel qui chassent les sauterelles. J’en profite pour dessiner les autres joyaux qui vivent ici : pies-grièches à tête rousse, rolliers, guêpiers, petits gravelots

16 juin

Sur un autre bras du Gardon, je rejoins José, un ami qui a repéré un nid. L’aire trône sur la première fourche d’un peuplier blanc, dissimulée par des clématites. Je distingue quelques rectrices d’une queue de rapace ! Nous tournons dans l’épaisse végétation pour trouver une fenêtre. Pas facile, la forêt est luxuriante. D’un point de vue éloigné, je m’obstine, l’œil dans la longue-vue. L’espace d’un court instant, un iris citron perce entre les branches. C’est elle !

5-interieur ripisylve (vue sur l'aire)_revue salamandre 288

17 juin

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Je reviens pour un affût sur le spot de la veille. Au bout d’une heure, un individu totalement sombre se perche au-dessus de moi. Je n’avais jamais vu un plumage aussi uniforme : l’œil jaune, les doigts et les tarses contrastent vivement. La bondrée descend sur l’aire. Je ne sais pas de quel sexe il s’agit. Il est dit que les deux adultes se partagent la couvaison, mais pour l’instant, je n’ai vu que des femelles à l’œuvre.
Magique ! Un couple de rolliers habite dans le même arbre, installé dans une loge à quelques mètres du nid du rapace.

Menu piquant

La particularité n° 1 de la bondrée est son régime alimentaire. Insectivore au nom évocateur – apivore signifiant « mangeur d’abeilles » –, ce rapace s’est notamment spécialisé dans la consommation de couvains de guêpes. Ce goût pour les nids souterrains d’hyménoptères explique qu’il chasse à pied, au sol, après avoir repéré les mouvements des insectes adultes autour de leur colonie. Ce régime original est marginalement complété par d’autres insectes, des lombrics, voire des petits invertébrés (amphibiens, micromammifères, oisillons…).

7-gateau_modif revue salamandre 288

3 juillet

3-poste d'affut et nids de guepes_revue salamandre 288

De retour vers le couple du saule, je me glisse sous l’alisier protecteur. Bien installé, je constate, surpris, que c’est au tour du mâle de couver. Je le dessine à loisir pendant de longues minutes. Seule sa tête gris-bleu dépasse du nid. Sa gorge est blanche et je remarque un peu de duvet accroché sur un rameau de saule. Comme je m’y attendais, la femelle revient vite à l’aire et se pose avec un gâteau – nid de guêpes – dans le bec. Elle se met à dépecer ce nid de guêpes et je comprends alors que les poussins sont nés. Tiens ! Elle distribue aussi des restes d’un passereau qui avait peut-être été déposé par le mâle. Heureux, je distingue deux têtes de poussins pendant cette première observation de nourrissage.

5 juillet

Vers 10 h, le mâle arrive à l’aire avec un gros lézard vert ! Peut-être que le printemps bien arrosé a retardé le développement des guêpes et frelons, au point que les bondrées se rabattent sur d’autres proies ?

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Fin de l'été

J’ai pris moins de notes durant les mois de juillet et août, même si je suis régulièrement venu dessiner. Les poussins ont grandi sans souci, bien alimentés par les adultes. Au cœur de l’été, j’ai noté uniquement des apports de nids de guêpes. Assez vite, les poussins se servaient eux-mêmes tandis que les adultes restaient en surveillance. Passé trois semaines, les jeunes étaient plus souvent seuls.

À mon dernier passage, un juvénile pourtant volant revenait régulièrement au nid en journée. Septembre est arrivé, cette famille, comme toutes les bondrées du secteur, a filé vers l’Afrique tropicale, très loin de mes pinceaux.

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Quelques originaux, parmi les œuvres de Justin Piveteau que vous avez eu la chance d’admirer dans ces pages, ont tristement disparu dans un incendie de la maison du tourisme et du Parc de l’Aigoual, dans la nuit du 5 au 6 décembre 2024.

Dessins et récits de terrain : Justin Piveteau

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Pour aller plus loin...

Le comportement des oiseaux d’Europe
Retrouvez la bondrée apivore et des dizaines d’autres oiseaux aux mœurs fascinantes dans notre livre de référence.

Couverture de La Salamandre n°288

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 288  Juin - Juillet 2025, article initialement paru sous le titre "Fausse buse, vraie rencontre"
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Dessins Nature

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