© Jean-Michel Bertand et Marie Amiguet

Loups : 6 réponses avec Jean-Michel Bertrand

Les loups : Il y a les pour, il y a les contre. Et si on essayait de dépasser les clivages en répondant à quelques questions essentielles avec le réalisateur Jean-Michel Bertrand ?

Les loups : Il y a les pour, il y a les contre. Et si on essayait de dépasser les clivages en répondant à quelques questions essentielles avec le réalisateur Jean-Michel Bertrand ?

Vous l’avez sûrement remarqué, on vit une époque ultra-polarisée. Sur plein de sujets il y a comme deux fronts qui ne s’écoutent plus. Comme si la vérité ne pouvait être que noire… ou blanche. La question du loup ne fait pas exception.

Alors aujourd’hui, on va essayer de faire la part des choses au moins sur ce sujet du loup… en posant quelques questions essentielles à Jean-Michel Bertrand.

Expert du sujet, Jean-Michel a réalisé trois longs-métrages La vallée des loups, Marche avec les loups et enfin Vivre avec les loups, qui sort au cinéma tout prochainement. J’ai profité de sa présence au dernier Festival Salamandre, où il est venu présenter son dernier film, pour lui tendre le micro.

#1 Pourquoi tu t'intéresses au loup ?

Ah ça c'est une vaste question ! Parce que le loup m'emmène. Parce que le loup est passionnant. Je suis complètement accro à cet animal qui est un animal complexe, furtif et qui m'emmène bien au delà de ce que j'imaginais, dans mon rapport à la nature. Je fais des immersions très longues pour essayer de comprendre leur vie et le côté humain : c'est à dire l'impact des loups sur l'humain qui fait que cet animal est un animal politique et est absolument passionnant.

#2 Les loups sont-ils en train de pulluler ?

Le loup ne peut pas pulluler. C'est un prédateur qui s'autorégule par les systèmes de dispersion de jeunes qui s'en vont, des régulations, des naissances. On est en train d'essayer de comprendre tout cela aujourd'hui et c'est ce dont parle d'ailleurs mon film. Les territoires comme là où j'habite dans les écrins qui sont plein, qui sont saturés, on va dire, c'est à dire six meutes sur deux massifs ; et bien, il n'y aura pas quinze meutes dans 30 ans. On sait qu'il n'y aura pas plus de loups dans 30 ans chez moi qu'aujourd'hui.

En revanche, il y en aura plus ailleurs parce qu'il y a de la place. Donc on est sur une phase exponentielle aujourd'hui, où il y a de plus en plus de loups dans de plus en plus d'endroits. Mais une fois que les loups sont installés et que tous les territoires sont occupés, ça stagne.

Parce que si les loups pullulaient et qu'il y avait trop de loups, ils mangeraient tout, comme disent certains. Et si le loup mangeait tout, il n'y aurait plus rien à manger, donc il n'y aurait plus de loups. Depuis des millénaires, depuis des millions d'années, les prédateurs préservent la ressource. Je pense qu'un enfant de maternelle est capable de le comprendre.

On a le même exemple avec les aigles. Depuis que les aigles ont reconquis toutes les Alpes, aujourd'hui, le nombre d'aigles stagne depuis une quinzaine d'années. C'est eux qui font le boulot. Il n'y a pas besoin de les réguler.

Le loup ne peut pas pulluler. C'est un prédateur qui s'autorégule par les systèmes de dispersion de jeunes qui s'en vont, des régulations, des naissances.

© Jean-Michel Bertrand

#3 Le loup est-il dangereux pour l'Homme ?

Non, vraiment, la dangerosité du loup pour l'humain est un réel fantasme. En tout cas, quand je suis dans la nature que je dors dehors, que je bivouaque en été, en hiver, que la femelle est des petits, nombreux ou pas, je n'ai pas du tout peur parce qu'il n'y pas besoin d'être courageux. De toute façon il n'y a pas de risque.

Je crois que c'est vraiment un animal qui est, dans l'inconscient collectif, un animal un peu diabolique, dangereux. Mais là, on est complètement à côté de la plaque. Le seul exemple d'attaques sur les humains qu'on ait, c'est au travers du loup enragé.

On a d'ailleurs ce problème en main actuellement et on l'avait en Europe à l'époque où il y avait la rage évidemment. Donc on avait vraiment des exemples d'attaques sur des humains. Mais les renards mordent, les chiens mordent, les chauves-souris peuvent mordre et attaquer aussi lorsqu'elles ont la rage. Et puis, il y a aussi des exemples de loups qui sont plutôt des loups imprégnés, habitués à l'Homme, à moitié apprivoisés.

Et là, on a des dérapages et effectivement, des animaux qui peuvent mordre, mais qui ne vont pas évidemment jusqu'à dévorer selon le fantasme, mais qui peuvent mordre. Mais il y a toujours des explications et des raisons. Quand on parle des loups sauvages dans la nature, le risque n'existe pas, en tout cas jusqu'à présent.

La dangerosité du loup pour l'humain est un réel fantasme.

#4 Le loup fait-il disparaître les ongulés sauvages ?

Comment serait-il possible que les loups détruisent leur garde manger depuis des millénaires ? Depuis tout le temps que des prédateurs et même de très grands prédateurs, même avant l'arrivée des humains ou à l'époque néolithique ? Ces grands prédateurs, les tigres à dents de sabre, etc. n'ont jamais détruit leurs proies.

C'est leur garde manger, ce sont les équilibres biologiques, c'est ce que la nature nous apprend. Donc quand on pense, quand on se permet de dire que les loups vont tout manger, qu'il ne restera plus rien, c'est aussi une grande erreur de penser ça. Un mensonge, on peut le dire clairement.

Et si on peut parler d'éradication, une espèce dangereuse et très prégnante sur Terre, c'est évidemment l'humain. L'humain qui est quand même le premier pilleur. Je crois qu'on peut utiliser ce terme. Le premier pilleur de la nature, c'est-à-dire qu'on a perdu cette notion d'équilibre et on en est vraiment capable d'aller au-delà et de détruire au-delà de nos besoins.

On est donc un peu mal placé pour venir avancer et prétendre que les loups vont tout détruire. Ce qui est faux.

Le retour de ces animaux, le retour de ces prédateurs n'est pas sans incidence, justement du fait qu'ils se nourrissent d'ongulés sauvages. On a des groupes moins importants, on a une mobilité permanente qui est d'ailleurs très bien pour la santé de ces fameux ongulés et aussi pour la préservation de la végétation et évidemment parce qu'ils bougent beaucoup plus. Donc on peut parfois être surpris, se dire qu'il n'y en avait plus mais il n'y en a plus. Ce n'est pas qu'il n'y en a plus.

Il y a vraiment des comptages effectués, un travail qui est d'ailleurs souvent effectué par des sociétés de chasse où l'on constate que l'impact sur les ongulés sauvages est quand même assez anecdotique, sauf sur certaines espèces très vulnérables comme les mouflons qui ont été introduits artificiellement par l'Homme pour pouvoir être chassés.

Mais les mouflons ne disparaissent pas à cause des loups. Les surnombres ont été modérés et nous, par exemple sur d'autres massifs, on avait 1 200 mouflons et là on en a 450. Depuis dix ans, ça s'est stabilisé et le mouflon ne sera jamais éradiqué non plus par les loups.

Quand on se permet de dire que les loups vont tout manger, qu'il ne restera plus rien, c'est aussi une grande erreur de penser ça. Un mensonge, on peut le dire clairement.

© Jean-Michel Bertand et Marie Amiguet

#5 Les attaques sur les troupeaux sont-elles une fatalité ?

Une fatalité, je ne sais pas, mais en tout cas, c'est une réalité. C'est-à-dire que ces animaux sont des prédateurs opportunistes. On avait complètement perdu l'habitude évidemment, de coexister avec ces animaux et donc on avait tendance quand même à laisser les animaux domestiques sur les pâturages sans beaucoup de surveillance. Et évidemment, les loups à ce niveau là, ne font pas de cadeaux. De toute façon, ce n'est pas vraiment comme s'il y avait le choix.

Maintenant que les loups sont installés, on ne pourra pas les éradiquer, même si on le voulait. Tous les feux sont au vert. Il y a beaucoup de nourriture, il y a beaucoup d'ongulés sauvages. Les territoires sont disponibles, même s'ils sont parfois restreints en Suisse. C'est donc malheureusement, je crois qu'il faudrait quand même se dire que c'est une forme de fatalité, qu'il faudra faire avec ça, cette donnée en plus, qui n'est pas simple. D'où un dialogue indispensable entre toutes les parties et une volonté de la part des citoyens d'aller vers les éleveurs, vers les bergers pour les soutenir, pour les aider et ne pas rentrer dans les polémiques. Les loups sont là, il faut faire avec.

Effectivement, cela a une incidence réelle. Et le retour des loups, a changé en premier lieu, la vie des éleveurs et des bergers. Il faut vraiment le reconnaître, c'est une réalité.

D'où un dialogue indispensable entre toutes les parties et une volonté de la part des citoyens d'aller vers les éleveurs, vers les bergers pour les soutenir, pour les aider et ne pas rentrer dans les polémiques. Les loups sont là, il faut faire avec.

© Pierre Sellier

#6 Comment aider les bergers et les éleveurs ?

En dehors des techniques, on va dire très connues, pratiquées un peu partout dans les pays où il y a toujours eu des loups que sont les chiens, la présence humaine, les parcs de nuit. Je pense que les citoyens qui sont souvent ravis du retour des grands prédateurs doivent tenir compte justement de cette pression que ces animaux mettent sur l'élevage et devraient peut-être, comme le font certains dans des associations en Suisse comme OPPAL ou Pastoraloup en France, venir aider les éleveurs sur des alpages où il y a de la pression et ça se fait de plus en plus.

Il y a de plus en plus de bénévoles qui viennent dormir avec les bergers pour mettre vraiment la pression sur les loups et permettre surtout aux bergers de dormir la nuit, de se reposer. Je crois beaucoup en un partage, à un respect, à une prise en compte et ne pas être chacun dans un camp. Les admirateurs du loup d'un côté, pro-loups, les éleveurs bergers de l'autre, anti-loups, tout ça doit disparaître.

On ne peut pas être " pro " ou " anti ". Les loups seront là, donc essayons. Essayons de créer des ponts entre ces mondes.

- A ne pas manquer -

Le film Vivre avec les loups de Jean-Michel Bertrand dès mercredi 24 janvier, en Suisse comme en France !

Ce film est le dernier opus de la trilogie de Jean-Michel Bertrand consacré au grand canidé. Dans ce nouveau long métrage, le réalisateur explore les relations parfois tendues entre les loups et les humains et comment il est possible de coexister avec le grand prédateur.

Observant une meute de loups dans le cadre grandiose de la forêt alpine, Jean-Michel Bertrand explique leurs comportements et retrace l’évolution de nos relations avec le grand prédateur. Puis, ce cinéaste passionné et tenace part à la rencontre des éleveurs qui ont accepté la présence du loup et appris à vivre avec lui, des Alpes aux Pyrénées en passant par la Normandie et la Suisse.

Il montre également les limites de la politique actuelle de gestion de ces carnivores et explique pourquoi certaines mesures sont inefficaces, voire contreproductives. Enfin, il dévoile l’action de bénévoles engagés, qui aident les éleveurs à mieux se protéger des attaques. Leurs témoignages et débats permettent de dépasser l’affrontement stérile pour ou contre le loup afin de comprendre comment mieux cohabiter avec cet animal fascinant.

> En savoir plus sur le film

Le livre édité par la Salamandre Vivre avec les loups de Jean-Michel Bertrand.

Ce beau livre au récit passionnant et aux images captivantes accompagne le troisième film de Jean-Michel Bertrand sur les loups. Le réalisateur délivre un message fort et actuel : le prédateur est de retour. Il ne s’agit plus d’être pour ou contre mais d’apprendre à vivre avec lui. Bergers, éleveurs, scientifiques, chasseurs et bénévoles engagés, témoignent.

> En savoir plus sur le livre Vivre avec les loups

Minute Nature dans les coulisses du montage du film !

Rendez-vous avec Jean-Michel Bertrand en plein montage de " Vivre avec les loups ".

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