Dans le Jura, le retour des bisons sauvages ?
Dans le canton de Soleure, l’association Wisent im Thal a un rêve fou : réintroduire le bison d’Europe sur les plateaux du Jura. Aujourd’hui, une dizaine de grands herbivores s’ébattent dans un enclos de 100 ha. Reportage.
Dans le canton de Soleure, l’association Wisent im Thal a un rêve fou : réintroduire le bison d’Europe sur les plateaux du Jura. Aujourd’hui, une dizaine de grands herbivores s’ébattent dans un enclos de 100 ha. Reportage.
La forte gelée de cette matinée de fin d’hiver n’empêche pas Benjamin Brunner, un éleveur qui possède 25 vaches allaitantes, d’être dehors mains nues. Il est à la tête d’une exploitation sur la commune de Welschenrohr-Gänsbrunnen (SO) sur laquelle l’association Wisent im Thal a lancé son projet un peu fou : réintroduire dans le Jura le bison d’Europe, disparu depuis le Moyen-Âge de la région et en 1927 de l'entièreté du continent.
Benjamin Brunner est salarié à 50% pour gérer et surveiller les énormes bovins au quotidien, les faire pâturer sur ses terres et organiser des visites guidées. Les mammifères à la robe marron noir sont là, à brouter à 700 m d’altitude sur une prairie en lisière de forêt. Lors du lancement de l’expérience en 2022, il y avait 5 bisons: ils sont désormais une dizaine grâce aux naissances récentes. Sur la clôture, un panneau informe les promeneurs qu’ils sont libres de franchir la barrière. Mais il est conseillé aux humains de ne pas approcher à moins de 50 mètres des bisons pour que ceux-ci ne se familiarisent pas avec Homos sapiens.

Un troupeau très soudé
Le projet en est à sa phase 2 depuis l’automne 2024. Lors du lancement du projet en 2022, les massifs herbivores avaient un enclos de 50 ha. Cette surface est désormais doublée. « Chez les bisons, l’organisation du groupe est parfaite, admire Benjamin Brunner, en connaisseur. Contrairement aux troupeaux de vaches, où des individus vagabondent en solitaire, les bisons restent toujours groupés. Seuls deux spécimens sont équipés de collier émetteur, mais cela suffit à suivre tout le groupe. »
Lors de la phase 3, prévue pour 2027, les bisons n’auront plus de clôtures. Mais tous leurs déplacements seront suivis par GPS et il sera possible d’envoyer un signal sonore voire une décharge électrique sur le collier émetteur des bovins s’ils se dirigent vers une zone jugée dangereuse. Pas encore complètement un retour à l’état sauvage.
En marchant dans la forêt, nous avons contourné les bisons et sommes arrivés à l’autre extrémité de la prairie. Dans le couvert végétal, une trouée nous offre une superbe vue sur le troupeau en contrebas. Les bêtes ruminent à même le sol. Deux jeunes se roulent dans la boue. Une femelle se lève et nous surveille du coin de l’œil. Une deuxième adopte le même comportement. Au milieu du groupe, un énorme taureau tape de la queue et agite sa tête. « Nous sommes à 30 m de distance. Deux bisons nous regardent. Quand le mâle de 800 kg simule une charge pour effrayer les intrus, tu prends peur même si tu sais qu’il va stopper sa course à 5-10 m de toi », sourit Benjamin Brunner. Le taureau se distingue assez aisément des femelles : il possède un crâne nettement plus large.

Faire adhérer la population
L’agriculteur soleurois est plutôt optimiste pour obtenir le feu vert des autorités et passer à la phase 3 du projet en 2027, même si le soutien de la population et des élus locaux n’est pas gagné. En 2024, l’institut fédéral WSL a parrainé le master d’une étudiante qui a sondé les habitants : seuls 43% se sont dits favorables à une mise en liberté totale des animaux. « Je sais que je suis critiqué parmi les paysans du coin pour avoir fait le choix d’accueillir des bisons ». Avant son lancement, le projet Wisent im Thal a été fortement tancé. Des recours judiciaires ont eu lieu avant que le Tribunal fédéral ne tranche finalement en faveur de l’expérience.
On vous conseille en tout cas de profiter de cette expérience en visitant le projet Wisent im Thal cet été. Des visites guidées sont organisées par Benjamin Brunner pour mieux appréhender les bisons.

Trois questions à… Darius Weber, collaborateur scientifique du projet Wisent im Thal
La réintroduction du bison sur un territoire bouleverse-t-elle les écosystèmes?
Les cerfs sont plus efficaces pour ouvrir la forêt. Le bison va s’ajouter au paysage plutôt que de la transformer. Les bisons s’en prennent aux jeunes arbres aux troncs pas trop larges. Les hêtres ou érables qui meurent dans ces conditions sont donc vite remplacés dans la forêt. À l’état sauvage, la population de bisons est peu dense et les dégâts sont mineurs. Les coléoptères ont, par exemple, bien plus d’influence que les bisons sur le dépérissement d’arbres.
Quel est le plus gros défi dans ce projet ?
Le plus dur, je dirais que c’est la tête des gens quand on leur a annoncé qu’on voulait ramener le bison. Les Suisses n’aiment pas ce qu’ils ne connaissent pas. Nous avons par exemple été surpris que des organisations de protection de la nature soient contre ce projet. Il y a une philosophie particulière concernant la conservation de la nature dans notre pays : les Suisses voient leur environnement comme un jardin à cultiver, plutôt qu’un monde sauvage à laisser évoluer par lui-même.
Mais les bisons peuvent-ils représenter un danger pour les humains ?
On ne connaît pas de comportement dangereux du bison envers les humains dans les pays d’Europe de l’est où il y a de larges populations. Les bisons peuvent s’approcher par curiosité de gens, mais il n’ y a pas de contact physique. Le problème, c’est plutôt pour les accidents de la route. Comme les sangliers ou les cerfs, ils peuvent traverser. Cependant, les bisons sont moins vifs donc ils surprennent moins les automobilistes par leurs mouvements.

Ce reportage est extrait du nouveau hors-série de la Revue Salamandre, paru en septembre 2025. Sur le thème des Métamorphoses, il traite des grands changements sociétaux, climatiques et du vivant.
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