Comment le cerf a alimenté des croyances humaines
Il y a plus de 10 000 ans, la dernière glaciation prend fin et avec elle le règne des rennes en Europe occidentale. Le cerf élaphe, réfugié dans les boisements des régions méridionales, prend alors progressivement sa place, tout en marquant la culture des humains. Panorama.
Il y a plus de 10 000 ans, la dernière glaciation prend fin et avec elle le règne des rennes en Europe occidentale. Le cerf élaphe, réfugié dans les boisements des régions méridionales, prend alors progressivement sa place, tout en marquant la culture des humains. Panorama.

Fouiller le passé
Les premières apparitions des cervidés dans la culture remontent au Paléolithique moyen, il y a environ 100 000 ans. En 1969, des archéologues font une découverte étonnante dans la grotte de Qafzeh, au sud de Nazareth. Une sépulture révèle un jeune homme de Cro--Magnon auprès d’une ramure complète de daim. Selon Jean Abélanet, auteur de L’Homme et le Cerf, préhistoire d’un mythe, c’est la plus ancienne sépulture humaine connue au monde et le plus vieux témoignage de spiritualité reliant humains et cerfs.
Les bois des cervidés qui tombent et repoussent chaque année seraient une évocation de la vie qui se renouvelle… Ce symbole a traversé les âges, comme l’illustre le film Princesse Mononoké, de Hayao Miyazaki (1997), où le dieu-cerf Shishigami représente la divinité de la vie et de la mort dans la forêt…
Racines chamaniques
L’art pariétal nous a appris que les cerfs étaient liés au chamanisme. Ainsi, durant l’ère paléolithique, des chamanes, parfois coiffés de bois de cervidés, entraient en transe et prodiguaient à leurs pairs des soins, officiaient des rites funéraires ou annonçaient l’avenir… En 1916, une gravure est découverte dans la grotte des Trois-Frères, en Ariège.
Elle représente un grand cerf qui date de la culture magdalénienne, entre - 17 000 et - 14 000 ans avant notre ère. Elle évoque l’esprit régissant la multiplication du gibier et les expéditions de chasse.
Bois encombrants
Le cerf élaphe est un cousin du Mégacéros, un cervidé gigantesque qui est apparu il y a 400 000 ans en Asie centrale. Un crâne et des bois ont été retrouvés dans les tourbières d’Irlande, à la fin du XIX esiècle. La ramure mesurait jusqu’à 3,5 m d’un bout à l’autre et l’animal atteignait 2 m au garrot. Les deux cervidés ont cohabité en Eurasie pendant une grande partie de la dernière période glaciaire, à la fin du Pléistocène. Mais le cerf géant a fini par s’éteindre, il y a 10 000 ans, à la fin de la période glaciaire, en raison du réchauffement du climat et du développement lié à la forêt, un habitat contraignant avec des bois d’une telle envergure.


Dieu soleil
Sur le site préhistorique de Santa Fe de Mondújar (Andalousie), datant de - 7 200 à - 4 200 ans, des céramiques révèlent des représentations du soleil liées à des humains. Ils sont accompagnés par des cerfs et des biches. Des peintures datant de la même époque ornent les parois du grand abri de Tajo de las Figuras, proche de la ville de Cadix. À cette époque, le cerf n’est donc pas un simple gibier, mais un animal dont la chasse est chargée d’un fort symbolisme religieux.
Secret de druide
En 1891, un chaudron fut extrait des tourbières du Jutland, au Danemark. Il daterait du 1er siècle avant notre ère et serait l’œuvre d’artisans du bas Danube, ou du nord de la Gaule selon les sources... Ses ornements font bien écho à des forces mystiques. On peut notamment distinguer Cernunnos, le cerf divin celte qui protège les morts dans l’au-delà et qui promet le retour printanier de la vie végétale, animale et humaine sur Terre. D’après le professeur archéologue Jean-Jacques Hatt, l’immolation du cerf était une fête religieuse importante pour les Gaulois. Ces derniers se revêtaient de leurs dépouilles et dansaient pendant plusieurs jours. Cette pratique serait même une des origines du Carnaval !

Christianisation du cerf
Les cervidés ont aussi trouvé leur place dans les mythes de l’Église. Alors que le seigneur Hubert de Liège chassait un grand cerf, le Vendredi saint de l’an 683, ce dernier lui fit face. Entre ses bois, Hubert vit une croix lumineuse. Il renonça alors à la chasse et se convertit au christianisme. Il fut ensuite nommé évêque pour lutter contre le paganisme en Ardenne et en Belgique. Ironiquement, le repenti est devenu le saint patron des chasseurs... Le symbole païen du cervidé, lié à la mort et à la résurrection, sera également récupéré par l’église, qui y voit un lien avec le destin du Christ.

Chasses royales
Durant la Renaissance, la chasse à courre connaît un véritable essor et se codifie sous l’impulsion de François 1 er. Poursuivre le cerf accompagné de sa meute de chiens était un symbole royal de virilité et de puissance. Dans la vénerie, servir est le mot utilisé pour mettre à mort l’animal. C’est une tradition très française, qui peine à être appréciée de l’autre côté du Rhin à l’époque. En 1898, le comte de Chabot écrivait que « les Français ne chassent pas le cerf pour le manger, mais pour avoir l’honneur de le vaincre en opposant la force à la force, le courage au courage et la ruse à la ruse… ». Dans son Traité de vénerie (1859), Jacques d’Yauville semble paradoxalement reconnaître que « le cerf est naturellement doux et timide : il craint l’homme et ne lui a jamais fait mal que par accident ».

Et aujourd’hui ?
La vénerie est interdite en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Belgique. Elle n’a jamais existé en Suisse. Elle perdure en France, alors que plus de 86 % des Français y étaient opposés en 2021…

Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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