Au bout du monde

Pendant trois heures, j’ai sué toute mon eau, zigzaguant sur des sentiers étroits et escarpés, pour atteindre finalement le col. J’ai toujours été attiré par ces lieux de passage, par les doubles panoramas – derrière et devant – qu’offrent les hauts plateaux perchés entre ciel et terre. Je me sens bien là-haut.

En contrebas, un lac turquoise m’attire comme un aimant. Ses rives en terrasses sont ponctuées de jolis pompons cotonneux. Je dépose mon sac et m’assieds sur la berge. Qui donc peut habiter ce lieu reculé couvert de neige huit mois par an ? Pas grand monde sans aucun doute.
Erreur ! Au bout de deux minutes, un joli papillon moiré vient se poser sur ma main. Et puis, un murmure de plus en plus sonore me fait lever les yeux vers le ciel. Je cherche un drone… mais c’est une nuée d’insectes minuscules qui volent au-dessus de moi. Des millions d’éphémères batifolent dans l’air pur, chassés par des libellules noires et bleues.

Je me déshabille et rentre dans l’eau glacée. Des têtards de grenouilles me chatouillent les mollets. De grosses larves de libellules patrouillent sur le fond vaseux. A la surface, les feuilles interminables des glycéries dessinent de savants fractals. Bref, la vie est là. Partout. Ici comme au bout du monde. Pas besoin d’un billet d’avion pour en mesurer toute la force et toute la beauté.

Que va-t-il rester de ce joyeux foisonnement une fois redescendu en plaine ?