
Cet article fait partie du dossier
Huit pieds sous les mers
« Chaque pieuvre est unique », témoignage du photographe plongeur Franck Bessière
Franck Bessière est captivé par chacune de ses rencontres avec les poulpes. Le photographe plongeur qui expose actuellement à Toulon (Var) parle même… d’intimité avec cet animal à part.
Franck Bessière est captivé par chacune de ses rencontres avec les poulpes. Le photographe plongeur qui expose actuellement à Toulon (Var) parle même… d’intimité avec cet animal à part.
Franck Bessière, vous faites de la photo documentaire sur de nombreux sujets. Depuis quand êtes-vous branché pieuvres ?
Depuis mes premières nages en mer, et tout naturellement. J’ai vite remarqué chez elles quelque chose de fascinant : certaines semblaient rechercher l’interaction avec moi. Plus surprenant encore, leur comportement évoluait à chacune de mes visites. Ce qui m’a totalement captivé, c’est de découvrir à quel point ces animaux généralement solitaires ont des personnalités distinctes. Chaque pieuvre est unique. Dans leur regard, il y a quelque chose de profond, une intelligence tellement différente. Je suis trop curieux pour ne pas chercher à savoir qui se trouve réellement derrière ces yeux. C’est devenu un objectif : documenter ces individualités non humaines et montrer qu’elles sont bien plus que de simples animaux marins. Chaque pieuvre me raconte une histoire singulière.


Mon objectif serait que l’on comprenne que chaque animal est une personne à sa façon.
Aimeriez-vous nous raconter une de ces rencontres justement ?
Alors que j’étais en train de partager un moment d’une incroyable intimité avec une pieuvre depuis près d’une demi-heure, un second individu est arrivé et s’est positionné face à moi en prenant une forme de cloche (> photo plus haut), avec ses bras déployés de façon très caractéristique. Sur le coup, j’étais surpris et fasciné, mais a posteriori, je crois que j’ai interrompu quelque chose d’important qui se passait entre elles sans savoir quoi. Cette expérience rappelle que, malgré tous mes efforts pour les comprendre, je reste un étranger.
Lorsque vous croisez leur regard, cela vous renseigne-t-il sur qui elles sont ?
C’est tellement étrange, le regard d’une pieuvre. Quand je plonge dans ses yeux, j’essaie de pénétrer ce que les éthologues appellent l’umwelt – comment ces individus perçoivent le monde. Cela me rappelle cette réflexion du philosophe Thomas Nagel : Que cela fait-il d’être une chauve-souris ? Je me pose exactement la même question avec les pieuvres. Comment est-ce d’exister avec neuf cerveaux autonomes, de voir le monde avec une vision polarisée, de ressentir son environnement avec des milliers de récepteurs chimiques répartis sur chaque ventouse ? Bien sûr, c’est probablement impossible d’y répondre, car nous sommes prisonniers de notre propre perception humaine. Mais pour moi, l’important n’est pas tant d’obtenir une réponse définitive que d’engager la démarche. C’est cette tentative de connexion avec une altérité qui me passionne et guide mon travail photographique.
Quelle est votre photo préférée ?
Celle d’une pieuvre qui m’avait accordé une confiance exceptionnelle, au point de continuer à chasser par 10 m de fond malgré ma présence. Elle représente bien plus qu’une simple image, c’est un moment d’acceptation mutuelle. Pour un photographe documentaire qui cherche à capturer l’authenticité du comportement animal, c’est un privilège inestimable. Et une récompense de la patience et du respect dans l’approche de ces créatures extraordinaires.

Quelle est l’image que vous rêvez de faire ?
Je poursuis depuis des années maintenant l’idée de photographier la pieuvre tachetée (Callistoctopus -macropus). C’est devenu mon arlésienne. Cette espèce est exclusivement nocturne, ce qui rend sa recherche particulièrement difficile. J’ai entendu tellement d’histoires de plongeurs qui l’auraient aperçue ici et là. Ce qui est intrigant, c’est qu’apparemment elle ne loge pas dans le même type de tanière que les autres pieuvres. On m’a raconté qu’elle s’enfouit dans le sable, à la manière des seiches, mais il existe en réalité très peu d’informations éthologiques disponibles sur cet animal. Ce qui ajoute au mystère et à ma fascination. Chaque été, je multiplie les plongées de nuit et là encore, la quête en soi compte plus que son aboutissement.
Comment réagit le public qui visite votre exposition Vivre en pieuvre ?
J’ai constaté deux types de réactions face à mes photos. Pour certaines personnes, c’est une découverte presque totale, car la pieuvre reste un animal mythique, une créature des abysses comme le fameux kraken. Mais j’ai aussi rencontré des gens passionnés, qui viennent me parler de leurs propres expériences, souvent similaires aux miennes. Ces échanges sont toujours enrichissants. J’aimerais tellement que les visiteurs qui sortent de mon exposition se disent que chaque être vivant est un individu à part entière, avec sa propre expérience, son vécu unique et son patrimoine génétique hérité de ses parents. En fait, mon objectif ultime serait que l’on comprenne que chaque animal est une personne à sa façon – non pas au sens juridique ou anthropomorphique, mais comme un être sensible avec sa propre perspective sur le monde. Si je parviens à faire passer ce message, même subtilement, alors pour moi le pari sera gagné.
Franck Bessière est photographe, documentariste et plongeur. Retrouvez ses photos dans l’exposition Vivre en pieuvre, à Toulon (Var), jusqu’au 21 septembre 2025.
À lire
Référence sur l’éthologie des poulpes par P. Godfrey-Smith, professeur d’histoire et de philosophie des sciences à Sydney. Traduit de l’ouvrage Other Minds : The Octopus, the Sea, and the Deep Origins of Consciousness.

Les céphalopodes
Les poulpes font partie d’un monde plus grand, tout aussi extraordinaire, les céphalopodes. Richement illustré, cet ouvrage complet présente la diversité et la beauté des espèces.
Poulpes, seiches & calamars de R. Hanlon, M. Vecchione, L. Allcock

À écouter
Épisode de l’émission Vivants sur RTS 1.
Le navigateur Alan Roura se glisse dans la peau d’un poulpe. Il va découvrir ses incroyables pouvoirs : changer de forme et de couleur en un instant, ressentir la force des ventouses ou encore réfléchir avec neuf cerveaux. Devenir poulpe, c’est donc partir à la rencontre d’une sorte d’extraterrestre, mais heureusement Alan Roura ne craint pas les défis.

À voir
de P. Ehrlich et J. Reed
Ce documentaire, primé aux Oscars, relate la relation particulière entre Craig Foster et un poulpe dans les eaux glaciales de la côte sud-africaine. Qu’on aime ou pas la romance et l’anthropomorphisme qui habillent ce film, la mise en scène et les images sont époustouflantes.




Cet article fait partie du dossier
Huit pieds sous les mers
-
Nature d’ici
Nature d’ici20 faits incroyables à savoir sur le poulpe
Abonnés -
Nature d’ici
Nature d’iciÀ travers les océans, des poulpes aux couleurs extravagantes
Abonnés -
Nature d’ici
Nature d’iciComment le poulpe tue des animaux à coquille
Abonnés -
Écologie
ÉcologieAvec ses neuf cerveaux, le poulpe est-il vraiment très intelligent ?
-
Nature d’ici
Nature d’iciBientôt des élevages intensifs de poulpes ?
Abonnés -
Nature d’ici
Nature d’iciLe super-pouvoir des pieuvres : changer de couleur ou de texture
Abonnés -
Nature d’ici
Nature d’iciQue se cache t-il derrière l’allure « extraterrestre » du poulpe ?
Abonnés -
Nature d’ici
Nature d’ici« Chaque pieuvre est unique », témoignage du photographe plongeur Franck Bessière
Abonnés
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
Catégorie
Ces produits pourraient vous intéresser
Poursuivez votre découverte
La Salamandre, c’est des revues pour toute la famille
Plongez au coeur d'une nature insolite près de chez vous
Donnez envie aux enfants d'explorer et de protéger la nature
Faites découvrir aux petits la nature de manière ludique
merci de ne pas les utiliser sans l'accord de l'auteur