« À Genève, le cerf n’est plus intouchable »
Vingt ans après son arrivée dans les bois de Versoix (GE), le cerf fait débat. Les dégâts qu’il occasionne ont poussé le Conseil d’État à autoriser des tirs en 2023 et 2024. Entretien avec Yves Bourguignon, chef de secteur de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature.
Vingt ans après son arrivée dans les bois de Versoix (GE), le cerf fait débat. Les dégâts qu’il occasionne ont poussé le Conseil d’État à autoriser des tirs en 2023 et 2024. Entretien avec Yves Bourguignon, chef de secteur de l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature.
Comment évolue la population de cerfs dans les bois de Versoix, là où se concentre la population du canton ?
Yves Bourguignon : En nous basant sur l’indice kilométrique d’abondance, nous observons que les effectifs croissent depuis 2003, avec une stabilisation à un niveau élevé depuis 2021 aux environs de 109 à 168 bêtes sur 553 ha.

Cette stabilisation traduit-elle une auto-régulation naturelle ?
Il s’agit plutôt de la conséquence des tirs effectués à Genève depuis deux ans, ainsi que de l’augmentation de la régulation en France voisine et dans le canton de Vaud.
Quelle est la nature des dégâts dans le canton de Genève ?
Sur des cultures non protégées, les dégâts atteignent entre 80 et 100 % de la surface. Comparé au chevreuil, le cerf se nourrit davantage d’herbacées et sa consommation est plus conséquente. Les cultures telles que maïs, tournesol, lentille, soja ou colza sont très appétantes pour lui, davantage que les surfaces de promotion de la biodiversité (SPB), censées l’attirer pour réduire les dommages.
Ne peut-on pas étendre ces surfaces de promotion de la biodiversité pour séduire encore plus l’ongulé ?
Les agriculteurs ont fait des efforts pour atteindre 12 % de SPB. Mais ces mesures, tout comme l’usage de répulsifs, ne suffisent pas au vu de la densité qui peut atteindre environ 30 cerfs au kilomètre carré. Avec l’aide des services forestiers, des habitats plus attractifs ont été créés en forêt pour détourner les cerfs des champs. Mais finalement, seules les clôtures électrifiées de 2 m de haut sont efficaces.
Pour quel coût ?
Le montant des dégâts s’est élevé à 8 000 CHF en 2024, contre 33 000 CHF avant l’installation des clôtures. Mais le coût de ces dernières atteint 140 000 CHF… Elles gênent en outre les exploitants et le déplacement de la faune sauvage. Une perte de rendement de 10 % est généralement tolérée par les agriculteurs, mais difficilement au-delà. Enfin, privilégier des cultures moins attractives pour le cerf impliquerait pour beaucoup de renoncer à leur modèle de ferme misant sur les circuits courts.
Côté forêt, la situation dans les bois de Versoix est-elle tolérable ?
Certaines surfaces de régénération sont protégées, notamment par des exclos permettant aux arbres de se développer. Ces mesures sont financièrement tenables sur une forêt de 4 km 2, mais pas à plus large échelle… Depuis 2008-2009, un partenariat lie Genève, Vaud et la France pour une gestion régionale des cerfs. Car les animaux genevois peuvent migrer dans le vaste massif du Jura, où la régénération de la forêt est un enjeu important face au changement climatique. Les épicéas dépérissants sont remplacés par d’autres essences comme l’érable, très appétant pour le cerf.
Les abattages genevois ont eu lieu malgré l’interdiction de la chasse, introduite dans le canton en 1974 ?
Oui, car la Constitution genevoise prévoit de recourir à des mesures de régulation si toutes les mesures préventives ont été tentées. Et nous estimons être au bout de ces mesures.
Pourquoi ne pas envisager la contraception des cerfs, préconisée par les opposants aux tirs ?
Une procédure d’opposition étant en cours, je ne suis pas en mesure de revenir sur le sujet tant qu’elle n’est pas close.
L’association Animal équité défend l’usage du vaccin contraceptif GonaCon, utilisé aux États-Unis pour réguler des populations de cerfs.
Les services de l’environnement du canton de Genève sont opposés à la contraception qui, selon eux, « perturbe de manière plus ou moins forte des comportements de migration, de dominance, de transmission des gènes et de regroupements »
Et le loup, ne serait-il pas une solution naturelle ?
Il n’a pas encore été observé à Versoix de manière certaine, la réponse ne viendra qu’à trop long terme. Sa prédation serait une aide à réguler insignifiante, mais sa présence pourrait engendrer une dispersion des cerfs. Si on observe la situation dans les Grisons, où des meutes sont installées, le plan de tir du cerf n’a pas vraiment évolué depuis 2012.


Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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